La rage de l’expression de Francis PONGE

Une exploration textuelle de Francis Ponge

Un montage de texte de Francis Ponge en réponse à une commande de la maison de la poésie et de la mairie de Montpellier (en novembre 2009) pour l’hommage à Francis Ponge poète Montpelliérain.

ponge-par-le-ptitatelier-3-eloise-allibi-et-juliettemouchonnat-la-rage-de-lexpression-ponge
Eloïse Alibi et Juliette Mouchonnat

Interprètes : Eloïse Alibi et Juliette Mouchonnat

Mise en scène : Juliette Mouchonnat

Musiques : Eloïse Alibi

Durée : 1h

Je m’aperçois d’une chose : au fond ce que j’aime, et qui me touche, c’est la beauté non reconnue, c’est la faiblesse d’arguments, c’est la modestie.
Ceux qui n’ont pas la parole, c’est à ceux-là que je veux la donner. […]
Glorifier les puissants m’intéresse moins que glorifier les humbles.
[…]
Les humbles : le galet, l’ouvrier, la crevette, le tronc d’arbre, et tout le monde inanimé, tout ce qui ne parle pas. ” (”Je suis un suscitateur”, 1er mars 1942,2h du matin.)
“L’on devrait pouvoir à tous poèmes donner ce titre : raisons de vivre heureux. “ (Proêmes, 1928.)

LE PARTI PRIS DES CHOSES – F. Ponge, février 1995

avt_francis-ponge_58091

Poète contemporain, il éprouve déjà, à l’âge de dix-sept ans, une violente révolte contre le parler ordinaire : « N’en déplaise aux paroles elles-mêmes, étant donné les habitudes que dans tant de bouches infectes elles ont contractées, il faut un certain courage pour se décider non seulement à écrire, mais même à parler » (Proêmes, “Des Raisons d’écrire”, II, Ponge souligne). Il partage son temps entre les messageries Hachette où il est employé et son cabinet de travail où il noircit ses premières pages. Militant communiste, délégué syndical, il perd son emploi lors des grèves de 1936 et quitte Paris en 1940 pour entrer dans la Résistance. ‘Le Parti pris des choses‘, paru en 1942, pose les éléments essentiels de sa ligne poétique, très différente de celles des surréalistes, de Saint-John Perse et René Char : Ponge dissèque les objets, en abolissant la frontière entre le mot et la chose qu’il désigne. Il se fait le poète du quotidien, matérialiste, sensualiste, sous la plume duquel ‘L’ Huître‘, ‘Le Savon‘, ‘La Pomme de terre’ ou ‘La Cruche’ deviennent littérairement et littéralement palpables. Devenu professeur après la guerre, il écrit poèmes et essais en parallèle, les derniers (’ Méthodes‘, ‘La Fabrique du pré) ayant vocation à éclairer l’élaboration quasi culinaire des premiers (’ La Rage de l’expression‘, ‘Le Grand Recueil’). Salué par Jean-Paul Sartre et Philippe Sollers comme un des auteurs majeurs de la poésie contemporaine, Francis Ponge fut récompensé tardivement par le Grand prix de poésie de l’Académie française en 1984.

Le mimosa

Sur fond d’azur le voici, comme un personnage de la comédie italienne, avec un rien d’histrionisme saugrenu, poudré comme Pierrot, dans son costume à pois jaunes, le mimosa.
Mais ce n’est pas un arbuste lunaire : plutôt solaire, multisolaire…
Un caractère d’une naïve gloriole, vite découragé.
Chaque grain n’est aucunement lisse, mais formé de poils soyeux, un astre si l’on veut, étoilé au maximum.
Les feuilles ont l’air de grandes plumes, très légères et cependant très accablées d’elles-mêmes ; plus attendrissantes dès lors que d’autres palmes, par là aussi très distinguées. Et pourtant, il ya quelque chose actuellement vulgaire dans l’idée du mimosa ; c’est une fleur qui vient d’être vulgarisée.
… Comme dans tamaris il y a tamis, dans mimosa il y a mima.
F. Ponge, La Rage de l’expression, 1952

L’huître

L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles : c’est un travail grossier. Les coups qu’on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d’une sorte de halos.
A l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en dessus s’affaissent sur les cieux d’en dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner.
F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942

Le Morceau de viande

Chaque morceau de viande est une sorte d’usine, moulins et pressoirs à sang.
Tubulures, hauts fourneaux, cuves y voisinent avec les marteaux-pilons, les coussins de graisse.
La vapeur y jaillit, bouillante. Des feux sombres ou clairs rougeoient.
des ruisseaux à ciel ouvert charrient des scories avec le fiel.
Et tout cela refroidit lentement à la nuit, à la mort.
Aussitôt, sinon la rouille, du moins d’autres réactions chimiques se produisent, qui dégagent des odeurs pestilentielles

(F.PONGE, Le parti pris des choses)

L’Escargot

… « Seul, évidemment, l’escargot est bien seul. Il n’a pas beaucoup d’amis. Mais il n’en a pas besoin pour son bonheur. Il colle si bien à la nature, il en jouit si parfaitement de si près, il est l’ami du sol qu’il baise de tout son corps, et des feuilles, et du ciel vers quoi il lève si fièrement la tête, avec ses globes d’yeux si sensibles: noblesse, lenteur, sagesse, orgueil, vanité, fierté.

La colère des escargots est-elle perceptible? Y en a-t-il des exemples? Comme elle est sans aucun geste, sans doute se manifeste-t-elle seulement par une sécrétion de bave plus floculente et plus rapide. Ainsi se rassurent-ils et en imposent-ils au monde d’une façon riche, argentée… »

(F.PONGE, Le parti pris des choses)